Le vainqueur est :

Pierre THOMAS

Pour son texte

L’ABSENCE

Les gifles des orages, les gerçures des vents d’hiver, les brûlures des soleils flamboyants n’atteignent pas le visage minéral de Maria. Maria n’a que faire des cadeaux du ciel. Elle a d’autres soucis.

Elle reste assise des heures, des jours, immobile. Seule sa main droite caresse sa main gauche d’un geste machinal, interminablement répété. On finit par ne plus la remarquer, depuis si longtemps, sur son banc de pierre, un peu en contrebas du village. Elle se tient droit, dans ses habits noirs délavés, ravagés par la lèpre de l’abandon. Elle se tient droit, et son regard, d’un gris qui a conservé le pâle souvenir du beau bleu d’autrefois, fixe un point vers l’horizon. Ou plus exactement le point d’extrême au-delà duquel disparaît la route qui mène au village.

Car le village est une sorte de nid d’aigle, dominant le relief tourmenté. De là-haut, quand le temps est clair, on peut apercevoir la mer d’un côté et de l’autre les neiges du massif. Et on peut voir venir de loin le voyageur attaquant la longue côte qui débouche sur la place centrale marquée du monument aux morts. Toutefois, peu d’étrangers viennent jusqu’ici. C’est un cul-de-sac, oublié du monde. On naît, on vit, on travaille, on fait la fête entre gens du pays. Le travaille est rude en ces lieux ingrats. Mais beaucoup moins qu’autrefois, lorsque Maria était jeune. Les mauvaises récoltes, les épidémies aussi bien chez les animaux que chez les hommes, les fourberies de négociants véreux, avaient des effets désastreux. Et bien des familles ont dû, à cette époque, survivre avec le désespoir comme compagnon de peine, économisant avec opiniâtreté sur ce qu’il était impensable de rogner la veille. Pourtant on savait profiter de quelques moments de grâce qu’accordait la vie, avec une fougue et une insouciance exacerbées par la certitude de l’éphémère.

A quoi pense Maria, sur son banc de pierre ? Se souvient-elle de cette nuit de la Saint-Jean où, autour d’un grand feu, parmi les bouquets d’étincelles, elle se laissa emporter par les tourbillons de la danse, rêvant d’une vie de lumière et d’amour ? le violoniste arrachait à son instrument des gerbes de pizzicati aériens, perles de bonheur offertes, comme les pluies d’été aux jardins assoiffés. Allez, Canari, tu joues mieux que jamais ce soir ! Encore ! surtout, n’arrête pas ! Ecoutez ces trilles, mes amis ! Mais qu’est-ce qui t’arrive, Canari ? tu auras droit à un double canon, tout à l’heure ! Et le tonnerre dévastateur des sabots sur les dalles faisait vibrer les étoiles. Il arrivait à Canari ce qui arrive à tout le monde un jour ou l’autre : il était amoureux ! Bien malgré lui, il ne parvenait pas à distraire son regard de Maria. Il cherchait à l’attirer, à lui faire des confidences, à lui dire son émotion par musique interposée. Il savait bien que, sans son violon, il resterait prisonnier de sa timidité maladive. Seul son instrument saurait intercéder en sa faveur. Maria démêla parmi les innombrables notes celles qui lui étaient destinées, les mit à l’abri en elle-même, afin de les réécouter dans la solitude de sa chambre. Elle ne se lassait pas de ces mélodies d’amour qui, espiègles, venaient la troubler par surprise, lors des travaux des champs, à l’étable ou pendant le repas. Elle jouissait de cette présence aimante, protectrice, grisante, à tel point que les lignes mélodiques finirent par tisser dans son cœur un réseau d’or aux mailles serrées tenant au secret son prétendant, pour son plaisir exclusif.

Se souvient-elle de leur première rencontre, sous une averse d’automne ? Ils s’abritèrent dans une cabane à outils, juste assez grande pour eux. Les gouttes de pluie parcouraient lentement la géographie de leur visage, hésitant aux quelques sillons que le temps et les humeurs avaient déjà commencer à ciseler. Leurs regards confiaient leur joie et leur crainte. Elle avait dit : je veux t’appeler Albert, parce que c’est ton vrai nom. Il avait répondu, bouleversé : je n’aime pas qu’on m’appelle Canari. Ce n’est pas parce que je suis blond et que je joue du violon qu’on a le droit de se moquer de moi. Et ces confidences avaient libéré toutes les entraves. La noce eut lieu fin juin, par une des plus belles journées qui se puissent concevoir. Peut-être à cause de l’émotion, Albert fut incapable de tirer autre chose de son violon que des sons tristes et discordants, de sorte qu’un invité se crut obligé de prendre le relais, sans toutefois égaler les habituelles performances du marié. Alors, Canari, tu ne sais plus jouer ? Le mariage ne te vaut rien ! On ne devrait pas se mettre la corde au cou quand on joue du violon ! Mais ces plaisanteries ne paraissaient pas amuser Albert. Maria, quant à elle, jouait son rôle de jeune épousée à la perfection. Ils s’installèrent dans la ferme d’Albert. Pendant que son mari travaillait à l’extérieur, Maria remettait de l’ordre, apportait des notes de gaieté dans la maison, comme savent si bien le faire les femmes. Elle ne voulait pas se laisser prendre au piège d’une vie morne, sans désirs, sans beauté. Il lui arrivait de passer quelques instants à regarder son visage et ses mains, qu’elle ressentait instinctivement comme une part la plus expressive et la plus humaine de sa personne et qui, à ce titre, méritaient les plus grands égards. Elle se surprenait aussi quelquefois à caresser le bois du violon, espérant qu’un jour l’instrument reprendrait du service. Puis elle le rangeait dans son étui qu’elle replaçait sur l’armoire. Albert n’aimait pas qu’elle perde du temps à ces choses futiles.

Ce furent de belles années. En travaillant beaucoup, Albert et Maria réussissaient à mettre de l’argent de côté. Ils se dirent que le moment était venu d’avoir des enfants. Albert voulait des garçons : ils en eurent trois. Tous en parfaite santé, solides, durs à la tâche, mais taciturnes, comme leur père. Maria ne parvenait pas à s’habituer aux repas ponctués des seuls bruits de mastication, aux soirées de repli sur soi, devant un âtre chichement alimenté. Elle était sûre de trouver un jour le moyen d’apporter la joie qui manquait sous son toit. C’était faire fi du mauvais sort. Lorsque le cheptel fut décimé par une épidémie malgré la petite fortune dilapidée en potions plus ou moins magiques, après que des torrents de pluie aient saccagé les champs au printemps, l’heure était aux comptes. Non seulement on ne pourrait pas rembourser les dettes, mais les lendemains ordinaires ne seraient pas assurés. J’irai faire la couture ou des lessives chez les voisins, dit Maria. Albert haussa les épaules : comment les voisins la paieraient-ils ? On vendit du matériel jugé non indispensable, pour une somme bien inférieure à sa valeur réelle. Et il fallut retravailler les terres. Tous les cinq s’épuisaient au long des semaines, sans voir le plus petit signe d’amélioration de leur condition. C’est en prenant du linge dans l’armoire que Maria découvrit la disparition du violon et de son étui. Elle ne sut jamais que l’argent de la vente avait tout juste permis une survie d’un mois. Je vais partir chercher du travail, dit un soir Albert. Partir ? C’est l’unique mot qu’avait retenu Maria. Partir ensemble ? demanda-t-elle. Non, je pars seul et vous continuerez de vous occuper de la ferme. Je vous enverrai de l’argent et quand ça ira mieux je reviendrai. Et tu pars où ? En Amérique. Maria savait que, au cours des années passées, des fermiers las de la misère s’étaient déjà expatriés en Amérique. Certains n’étaient jamais revenus. D’autres, enrichis, avaient choisi de rentrer au pays étaler leur fortune. Mais tous étaient partis avec leur famille. Albert, dis-moi, tu ne veux pas qu’on t’accompagne ? Non, ce serait trop compliqué ! Et je reviendrai vite. Vous aurez à peine le temps de vous apercevoir de mon absence. C’est un matin de septembre que Maria et ses garçons ont suivi du regard Albert descendant la route vers la mer pour prendre le bateau. Il marchait vite et ne se retourna qu’au moment où la route disparaissait presque à leur vue. Il fit un geste de bras que Maria ne put voir, à cause de la distance. Elle s’assit pour la première fois sur le banc de pierre situé en haut de la côte et laissa monter un chagrin qu’elle ne chercha pas à cacher.

Les trois garçons se mirent au travail comme des bêtes. Ils passèrent l’hiver à remonter la terre que le déluge avait emportée, à préparer ce sol instable avec un outillage défaillant qu’il fallait réparer soi-même car le forgeron ne faisait plus crédit. Acheter des semis fut possible en vendant le plus vieux cheval. C’est en mai seulement que Maria reçut un peu d’argent d’Amérique. Je ne peux pas faire mieux, écrivait Albert. Je vais bien. Je vous embrasse. L’argent servit aussitôt à rembourser quelques dettes. Maria, au gré de son intuition, venait attendre Albert sur le banc de pierre. Elle regardait souvent la route et rentrait tard souvent. Claude, son aîné, lui fit remarquer que la maison devait être tenue et la cuisine prête. Elle comprenait, mais il fallait bien accueillir Albert quand il reviendrait. Il ne reviendra pas, dit René, le second. Il n’a pas le droit, protestait le plus jeune, sensible au désarroi de sa mère. Les efforts incessants des trois frères finirent par redresser la situation. On n’y croyait plus. La récolte n’avait rien à envier à celle des fermiers les plus chanceux. Et c’est dans ce contexte qu’un soir Albert frappa à la porte. Ce fut une fête magnifique. Albert souriait, racontait sa vie difficile loin d’ici, l’argent gagné sou à sou, les journées harassantes. Il avait trouvé un patron plutôt gentil mais exigeant et pas généreux. Il parlait un peu américain, ce qui fit rire tout le monde. Il y aurait de la place pour deux, là-bas, annonça-t-il à la fin du repas. Ca ferait double salaire. A deux, on pourrait t’envoyer plus d’argent, ça permettrait de voir venir… De voir venir quoi ? s’inquiéta Maria. C’est une façon de parler, conclut Albert. Claude se retourna plusieurs fois en suivant son père sur la route qui mène à la mer. Il agita la main en signe d’au revoir. Seuls ses frères lui répondirent. Sur la table du soir, Maria ne mit que trois assiettes. Elle se demanda si un jour il y en aurait de nouveau cinq. Comment allait-on faire le travail maintenant ? Dans quelle logique effroyable venait-elle d’être entraînée contre sa volonté ? Qu’étaient devenues les promesses de bonheur du grand feu de la Saint-Jean ? Face à l’ampleur des tâches, il fallut faire des choix et les revenus s’en ressentirent. La vraie misère, celle qui tue l’espoir et la dignité, s’installa. Maria ne parvenait plus à mobiliser ses forces. L’absence agissait comme un cancer qui la rongeait jour et nuit, détruisait jusqu’aux principes vitaux élémentaires. Elle avait pris l’habitude d’attendre sur le banc de pierre, sans répondre aux questions des gens qui s‘inquiétaient pour elle. On était en mai, et pourtant l’hiver ne voulait pas mourir. Il se laissait aller à d’ultimes convulsions qui n’étaient plus de saison. Maria avait pris froid. Une fièvre obstinée brassait son corps et sa raison sans répit. Il aurait fallu un médecin, mais René espérait que Maria, au-delà de son inconscience, viendrait elle-même à bout du mal. Elle est dure, disait-il. Jean, démuni devant les souffrances de sa mère, était sur le point de sortir demander de l’aide lorsqu’on frappa à la porte. Albert entra, les traits fatigués du voyage. Il retira son chapeau et son manteau trempés de pluie, enveloppés de vapeurs épaisses. Dès qu’il sut, il ordonna que Jean aille immédiatement chercher le médecin. Tu lui diras que je peux payer, ajouta-t-il. Puis il entra dans la chambre. Il s’assit au bord du lit et ne cessa de caresser les doigts de Maria que lorsque les contractures eurent disparu. Il garda alors sa main dans la sienne, sentant venir l’apaisement. Il siffla l’air de Canari, par petites phrases légères, au cœur du silence de la chambre. Maria n’ouvrait pas les yeux, mais elle savait. Aussitôt que la fièvre commença à céder sous l’action des médicaments, elle demanda : où est Claude ?

Ce n’est pas au début que la solitude avait véritablement fait œuvre de destruction. Les premières semaines furent supportables parce que l’absence prenait l’allure d’une mauvaise farce passagère du destin, comme si mari et enfants avaient quitté la ferme pour une petite escapade sans importance. Maria n’avait pas eu le temps de mesurer le vide de sa maison désertée. Les objets familiers, que la poussière de l’oubli n’avait pas encore recouverts, disaient leur désir de continuer à vivre leur vie domestique. Les craquements des meubles, le cliquetis pressé du réveil, la lumière de la lampe et les ombres occupaient le silence et l’espace comme avant. C’est plus tard que, au fil des jours, Maria perdit peu à peu ses repères. Elle n’était plus tout à fait sûre d’être allée se cacher dans la grange à foin pour échapper au traumatisme de la séparation. Elle ne savait plus si on l’avait cherchée pour lui dire adieu, si elle avait regardé par la fente quand ceux qu’elle aimait avaient quitté la cour. Elle ne se rappelait pas si elle était restée prostrée dans la grange deux heures, deux jours ou davantage. Elle avait oublié ce qu’elle avait fait en sortant de la grange. Une seule image lui revenait, insistante et douloureuse : sa longue attente sur le banc de pierre, ses yeux croyant distinguer quatre silhouettes mangées de brouillard sur la route, loin, très loin, de plus en plus loin. Et puis non, rien que le vide. Et les silhouettes encore. Qui s’approchent, font des signes, lui font des signes ? Non, rien décidément. Et puis une présence, là, tout près d’elle, quelqu’un qui lui prend la main et dans un geste affectueux l’entraîne vers un lieu où elle sera protégée des cauchemars et des adieux. Une fois par an, se tenait la foire. C’était une manifestation d’importance qui amenait un monde considérable. Alors que le soleil de midi incitait un grand nombre de visiteurs à se mettre au frais dans les bars et les gargotes, on vit apparaître Maria, en tenue de deuil élimée. Elle ne voyait personne, avançait à petits pas hésitants, regardant droit devant elle, insensible à l’attrait des inventaires. Pourtant, elle tomba soudain en arrêt devant un étalage et montra du doigt un objet exposé. Un petit violon de porcelaine garni de fleurs séchées. Une clé servait à faire fonctionner une boîte à musique située dans le socle. Ah ! il est beau, dit le vendeur. Et écoutez-moi cette belle musique ! Les sons grêles et mécaniques se déroulèrent dans l’espace, enveloppèrent Maria, vinrent toucher sa sensibilité profonde. C’est combien ? dit-elle. Pour vous ce sera cent francs seulement. Maria sortit son porte-monnaie et en retira l’unique pièce de cinq francs qui s’y trouvait. Elle la posa doucement, comme à regret, dans le creux de la main du marchand. Il faudra en rajouter un peu plus, ironisa-t-il en souriant. Pourquoi ? s’étonna Maria. Parce qu’il en manque, tiens ! cent francs et cinq francs, c’est pas pareil. Si, c’est pareil, corrigea Maria. Tu rigoles, ma belle ! Si t’as pas l’argent, faut pas acheter. C’est simple. Je vendrai à d’autres, pas de problème ! Et Maria tendit la main vers le violon. Le vendeur arrêta son geste d’un coup : tu veux que j’appelle les flics ? Non mais, c’est pas croyable ! T’es cinglée ou quoi ?

A bout de souffle, Maria a bousculé la porte de sa cuisine après une course hallucinante à travers le village. Elle s’est jetée sur la table, cachant son visage de ses bras, comme elle le faisait enfant, à la suite d’une contrariété. Un chagrin abyssal fit rouler sur la vieille nappe un déluge de désespoir infini. Quand la source s’est enfin tarie, Maria a laissé reposer son visage sur la table, secoué parfois de soubresauts nerveux, pour s’abandonner aux logiques troubles et inquiétantes de sa pensée. C’est à la nuit tombée qu’elle a ouvert le vaisselier : qu’est-ce que c’est que toutes ces assiettes ? A quoi elles servent ? A rien. A personne. Elle jeta à terre toute la vaisselle qu’elle trouva, et piétina les débris avec une détermination démente. Puis d'autres objets subirent le même sort. Au matin, le soleil éclairait par la porte ouverte une scène de désolation. On ne saura jamais comment une telle idée avait pu éclore dans sa tête exténuée. Elle avait pris un soir une bêchette, choisi un coin abrité des vents du nord et creusé côte à côte quatre petits trous rectangulaires. Elle avait ensuite taillé des bûchettes de buis avec lesquelles elle avait confectionné quatre petites croix habilement ouvragées. Puis elle était revenue dans la cuisine. Elle était restée prostrée pendant plusieurs heures, le regard dur, cherchant à contenir la détresse qui montait en elle. Avec une lucidité froide, elle avait étalé sur la table des chiffons propres, en avait empilé d’autres, avait posé une cuvette d’eau claire. Puis, elle avait extrait du tiroir le grand couteau de cuisine. Elle soupira longuement avant de se décider. Elle tâta du pouce droit l’articulation de l’index gauche, sentit le positionnement des os, posa la lame du couteau à l’endroit sensible et, sans trembler, se mit à peser sur le manche. Dès qu’elle sentit la première brûlure, exactement semblable à celle, bien connue, qui survient lors des incidents domestiques courants, elle ferma les yeux car elle savait que la suite serait plus difficile et craignait de faiblir à l’instant décisif. Elle entrait dans un domaine totalement inconnu, ne savait rien de la douleur qu’il lui faudrait dominer. Cependant, une force irrépressible la poussait à mener son projet à terme. Cette volonté paraissait avoir pris naissance en dehors d’elle, de même que sa main gauche lui semblait désormais étrangère. Et sans un cri, elle entama un mouvement d’aller et retour tout en maintenant sur le couteau une pression qu’elle croyait forte, mais qui s’avéra encore insuffisante. Elle ouvrit les yeux. Il était trop tard pour arrêter. Le doigt ne tenait plus que par quelques tendons. Il fallait en finir. Et dans un hurlement terrifiant, elle acheva. La douleur montait jusqu’à l’épaule, le sang rougissait les chiffons et le doigt coupé ne bougeait plus. Elle respirait avec peine. Le cœur luttait pour tenir. La sueur gouttait sur ses paupières. Elle n’osait pas regarder sa main mutilée de crainte d’avoir plus mal encore. Et elle se mit à frissonner comme un froid sépulcral avait pris possession de tout son corps.

Le matin la retrouva évanouie, la main gauche enveloppée de chiffons brunis. L’eau de la cuvette se teintait de rose. Il y avait sur la table quatre doigts exsangues et recroquevillés. L’un avait gardé son anneau d’or. Ayant repris conscience, Maria, mue par une volonté farouche, prit les doigts morts, les enveloppa de sa main valide dans un linceul blanc et propre, et les déposa dans les trous qu’elle avait préparés. Elle recouvrit de terre et déposa des fleurs sur les tombes miniatures. Puis, elle rentra se coucher. Depuis des années, Maria attend le retour d’Albert et de ses fils, assise sur le banc de pierre. Son regard ne quitte pas le lointain virage où ils apparaîtront. Elle sera la première à les voir?

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